Un artisanat rural définitivement disparu: la réalisation de la roue de char en bois et métal…

La roue en bois était l’œuvre de 2 artisans familiers de nos villages ruraux :

le charron et le maréchal-ferrant.

numérisation0004numérisation0003

De lourdes et robustes roues équipaient le charroi agricole: tombereaux de dimensions diverses pour le transport des moissons, des betteraves, du fumier, etc… tirés par les chevaux; de fines et élégantes roues équipaient les cabriolets du boulanger, du laitier ; d’autres plus petites pour les brouettes des maçons et des briquetiers…

L’avènement des roues métalliques équipées de jantes et pneumatiques mettra peu à peu un terme à cet artisanat ancestral après la seconde guerre mondiale.

Le façonnage d’une roue en bois cerclée nécessitait un savoir-faire et une compétence remarquables.

Le dernier charron à Huissignies fut Oscar Martin dont l’atelier se trouvait à la rue du Pluvinage; il réorienta ses activités vers la menuiserie générale en fin de carrière qui se termina dans les années 60.

numérisation0021 - Copie (Copier)

Le charron et le charronnage

On commençait par le moyeu (1) qui était extrait d’un tronçon d’orme (bois qui se laissait travailler facilement) ou de chêne, l’arbre étant abattu à la période propice.

Ce tronçon de bois d’un diamètre de 25 à 30 cm pour une longueur de 35 cm était laissé à séjourner dans une mare boueuse ( la « marache » ) ou dans une « tine » remplie d’eau pour durcir le bois. Ensuite, on accèlérait le processus en faisant bouillir pendant 3 heures l’ébauche du moyeu dans une ancienne chaudière à cuire les bouillies du bétail.

Bien sec, le moyeu était ensuite placé au tour pour lui donner la forme prévue, un profil conventionnel, au moyen de la gouge et de la plane. A intervalles réguliers, à l’aide des gouges, on y creuse des mortaises qui vont recevoir les tenons des rayons (3) de la roue.

IMG_5206_preview (1)

On place provisoirement un cercle en fer (ê cherque) autour des mortaises pour éviter que le bois ne se fende.

Les rayons sont préparés, en chêne ou en acacia, ils possèdent une forme particulière. Plus fin à l’avant, ils donnent à la roue une impression de finesse et de légèreté . Plus épais à l’arrière, ils assurent la solidité de la roue. Ils étaient soumis à de longs sèchages naturels avant d’en scier les tenons.

Ils sont enrayés à chaud, à la masse. cette opération est très importante pour la durabilité de la roue.

Une planche pivotante clouée au centre du moyeu  permet d’en contrôler l’inclinaison; un aide, avec un levier, les dirigeant pendant leur placement. L’ensemble était réglé au calibre et le pourtour tracé par la présentation de « modèle du tour de jantes ».

Les tours de jantes (2) faits pour recevoir 2 rayons étaient découpés dans des « dos d’ormes »  selon un gabarit choisi selon le diamètre de la roue. Deux trous sont forés pour recevoir une petite cheville dite goujon (9) qui réunira les tours de jante entre eux . Ceux-ci sont placés ensemble par coups de massue successifs autour de la roue.

On laisse un espace entre les tours de jante (la baie) permettant ainsi le serrage de l’ensemble par le bandage (ou grand cercle) mais ceci est le travail du maréchal-ferrant.

Il faut maintenant laisser le tout sècher pendant plusieurs mois, voire un an; d’ailleurs à la morte saison, le charron prépare généralement une série de roues de divers diamètres.

img145

  1. Moyeu 2.Tour de jante 3.Rayon (raie) 4. Grand cercle ou bandage 5.Cercles 6. Boîte
      9. Goujon 10. Trou de graissage

Le maréchal-ferrant

Le maréchal-ferrant appelé chez nous en picard « Eul marichau » était un autre personnage indispensable dans la vie rurale, au moins aussi important que le charron auquel il était appelé à collaborer. Son atelier était aussi un lieu de rencontre et de papotte, le foyer engageant à venir se chauffer en hiver.

Le maréchal s’occupe d’abord du moyeu qu’il renforce de 4 crêtes calibrées sur le cône du moyeu. ces crêtes sont portées au rouge et posées sur le moyeu qu’elles enserrent en refroidissant.

img090 - Copie

La crête 3 dite « à capiô » protège l’assemblage du moyen et on l’enduit de poix (graisse) pour la préserver de la rouille.

Le maréchal préparait ensuite le bandage (grand cercle) dans un fer plat de 10 cm de large sur 25 mm d’épaisseur tourné et soudé à chaud avec un diamètre intérieur légèrement inférieur à celui du pourtour de la roue non cerclée.

Pour lui donner la courbure nécessaire, on chauffe le fer au foyer de la forge et il est progressivement arqué dans une cintreuse. En l’absence de cette machine, il faut courber le fer à la masse en l’appliquant sur les jantes. Un calibre ou patron sert de guide.

Pour poser le bandage, on choisissait un beau jour, sans pluie ni trop de vent.

Dans la construction de la roue, le ferrage est la phase la plus rapide mais aussi la plus spectaculaire. Elle reste néanmoins celle qui nécessite le plus de dextérité et de précision.

Posé sur le sol de la cour du maréchal ferrant, le cercle (« cherque ») était recouvert de longs copeaux secs auxquels on allait mettre le feu.

numérisation0040 - Copie

Rapidement, le charron et le forgeron protégés par leur tablier en cuir, chacuns munis de longues tenailles, ils empoignaient le bandage brûlant et le plaçaient sur la roue. Le bois fumait, le bandage prenait sa place…aussitôt on jetait des seaux d’eau préparés par la femme du forgeron.

numérisation0042 - Copie

Vapeur, craquements, le bandage se rétractait enserrant d’une terrible étreinte le tour de jantes. A peine refroidi, le bandage était boulonné aux jantes, un boulon par deux rais.

numérisation0038 - Copie

Pour éviter l’usure du moyeu par frottement bois sur fer en roulant, on ajustait une buselure de fonte, conique, les « boîtes » qui s’emboîtaient sur la fusée de l’essieu. Il s’agit d’un manchon en acier muni de deux ailettes ou ergots. Une cavité est creusée au moyen d’un ciseau spécial et les boîtes y sont serties à la masse. (Photos de la famille Boulvin)

P1070267

Enfin, on perçait le trou de graissage que le fermier allait copieusement garnir de graisse avant de l’obturer par un bouchon de paille (eul torquette dé’trin).

Placée sur la fusée, la roue était maintenue par une clavette avec un rien de jeu. La roue en tournant devait en effet, disposer d’un certain jeu, ce qui provoquait un bruit caractéristique.

3 familles de maréchaux-ferrants étaient encore en activité à Huissignies après la 2ème guerre mondiale:

P1070277

Emile Houx (1882-1969), de la « dynastie légendaire des Houx » de Huissignies de laquelle tous les garçons entre 1900 et 1950 devinrent maréchaux-ferrants, soit à titre d’indépendant soit au service des mines du Borinage. Il termina graduellement ses activités en 1968. Il était installé au Trieu. Les écoliers de l’école communale de l’époque se souviennent de ses coups de marteau sur l’enclume audibles toute la journée.

numérisation0029

img202

Albert Vilette, qui avec son père après la 1ère guerre, fabriquait des machines agricoles telles binoirs, charrues, herses. Gilbert Strebelle, gendre d’Albert Vilette termina les activités dans les années 80. Ils étaient installés à la rue des Huées.

P1060075

( Article issu de « L’Echo de la Dendre »)

Eloi Boulvin était issu d’une famille ancestrale de « marichaux« , de père en fils,  depuis le début du 19ème siècle à Huissignies. Installé à la rue des Hauts D’Oignons, il termina ses activités début des années 80.

numérisation0003 (Copier)

Eloi Boulvin, le dernier maréchal-ferrant travaillant sur son enclume. (Photo de la famille Boulvin) 

Sources: Collection familiale de la famille Boulvin; Coup d’oeil sur Beloeil 1981 (Association pour la sauvegarde du patrimoine de Beloeil); Musée de la vie rurale de Huissignies; Wodecq au temps jadis.

2 commentaires sur “Un artisanat rural définitivement disparu: la réalisation de la roue de char en bois et métal…

  1. Bonjour Jean Noël Félicitations pour ce très bel article qui me rappelle ma jeunesse passée auprès de ces artisans Bonne journée et bonjour à Colette Protégez vous bien Amitiés

    J’aime

  2. Remarquable étude que j’ai lu très attentivement et qui m’a apporté beaucoup d’informations que j’ignoraient, moi qui suis né dans une ferme !. Bravo !

    J’aime

Laisser un commentaire